Roman et révolte populaire dans le monde arabe

Tewfik El Hakim a été (certainement ?) le précurseur de ces romanciers «révoltés». Son Journal d’un substitut de campagne (1946)(1) dénonce la corruption de la justice et la mainmise de l’Etat sur les rouages d’une pseudo-justice, clémente pour les «gros bonnets» et «broyante» pour les pauvres. Dans son sillage, Naguib Mahfouz publie, en 1954, Les enfants de notre quartier, tout de suite interdit de diffusion (il l’est toujours) en Egypte. Ad’ham, le héros du roman, veut «tout» : le pouvoir, la légitimité religieuse et… les têtes des disciples (entendre citoyens !). Ecrivain prolifique, Mahfouz publiera d’autres romans politiques très critiques à l’égard du pouvoir. Citons pour l’exemple : Le voleur et les chiens, Bavardages sur le Nil ou Miramar. Plus jeune que Mahfouz, Djamel El Ghaïtani va tourmenter le pouvoir égyptien en 1972 avec son Zeïni Barakat. «El Bassas» (L’agent secret) n’a rien à envier à Big Brother de George Orwel. Il surveille tout le monde ! Sonallah Ibrahim(2) est l’écrivain de la révolte. D’autres écrivains arabes ont publié des romans d’une grande valeur politique : Abderahmane Mounif (Villes de sel- Terre des maudits- A l’Est de la Méditerranée, etc.) Khaïriri Edahabi (Les malheurs de Yacine. Hassiba, etc.), Nabil Souleïman (Neige d’été – Défaites successives, etc.), Tewfik Y. Aouad (Les Moulins de Beyrouth), Maguid Tobia (La boue) et la liste est très longue.
Du point de vue «quantitatif », les romanciers algériens sont les «plus virulents». La guerre d’Algérie, seule «guerre révolutionnaire» de dimension internationale dans le monde arabe moderne, l’édition à Paris et «l’absence relative» de censure pour les œuvres artistiques ont beaucoup aidé à la prolifération en Algérie de romans politiques «plus francs», plus virulents et parfois à «la limite du pamphlet politique». Encouragés par un Kateb Yacine éternel opposant et un Mouloud Mammeri «viscéralement» anti-pouvoir, les Boudjedra (1969 : La répudiation, 1979, Les mille et une années de nostalgie, etc.), Bagtache : (Azouz El Cabrane, Khouya Dahmane, etc.), Rachid Mimouni (Le fleuve détourné, L’honneur de la tribu, etc.), Tahar Djaout (L’invention du désert, Les Vigiles, etc.), Djilali Khellas (Une odeur de chien, Des Colombes dans le crépuscule, etc.), Waciny Laredj (L’homme qui défia la mer, Fleurs d’amande, etc.), Habib Sayah (Le temps de Néron, Cette Nostalgie, etc.), H’mida Ayachi (Le labyrinthe), Mohamed Sari (El Ghaïth, La carte de visite, etc.), Amin Zaoui (Le huitième ciel, Hennissement de corps, etc.), Mustapha Benfodil (Archéologie de l’amour), Amari Chawki et autres Saïd Boutadjine ont dénoncé «tous les dérapages» des pouvoirs successifs en Algérie de 1962 à nos jours. J’ai cité peut-être les romanciers consacrés, mais la postérité est, déjà, garantie dans les «pays arabes». Ces «révolutions» qui secouent «les trônes archaïques» ne manqueront pas d’inspirer nos jeunes romanciers.
Note :
1) T. El Hakim, A. Mounif et D. Ghaïtani sont traduits en français.
2) Sonallah Ibrahim a passé 5 ans dans les geôles de Nasser.
Djilali Khellas, El Watan